fbpx

La mythologie comptable

Dans un récent article, je m’étais heurté au vide historique de ma profession. Un désert peuplé d’illustre inconnu jonchant les articles épars de la profession. Finalement, je me suis décidé à faire un tour à tout hasard à la bibliothèque nationale, question de feuilleter les innombrables manuels en quête de quelconque ouvrage qui aurait glissé à mon attention. Ce fut une heureuse surprise de tomber sur deux ouvrages, l’un que je connaissais déjà et l’autre sortant de nulle part étaient là tout nonchalants entre deux manuels d’IFRS.

La déconstruction du stéréotype

Pour ceux que cela intéresse, la lecture de Roland Barthes(Mythologies,1957) permettra de mieux saisir la préoccupation que j’ai avec le vide symbolique du comptable. Pour résumer, en absence de signifiant tangible, des caricatures populaires servent d’archétypes pour formuler des lieux communs se réduisant généralement à de vils stéréotypes sans profondeur et propres à la dérision. L’imaginaire collectif décrit le comptable comme un être barbant, impersonnel, froid, associé au travail des impôts et aux longues heures de travail. À remarquer que c’est la version la moins négative. Les publicités des dernières années de l’ordre des CPA tentent de changer la vision du public face à ces membres avec un succès mitigé.

C’est terrible comme situation lorsque l’on pense que le rôle du comptable est maintenant celui d’un régulateur voir d’un principal informé de chiffres qui ont maintenant un poids considérable dans nos vies sociales et économiques. Certains chercheurs [Ross Watts et Jerold Zimmerman] ont tenté de démontrer l’influence des choix comptables dans certains contextes précis. Il s’agit de la théorie de la comptabilité positive. Pour une introduction au sujet ;

Jean-François Casta. Théorie positive de la comptabilité. Coordonné par B. Colasse. Encyclopédie de comptabilité, contrôle de gestion et audit, Economica, Paris, p. 1393-1402, 2009.

Le travail de Watts et Zimmerman indique que les décisions des comptables dans leur choix de normes et de présentation sont influençables. La théorie de l’agence est à la base de cette position qui s’éloigne de l’aspect normatif pour aller vers l’étude des interactions entre les divers agents faisant partie de la firme (la compagnie ou l’état) [ Jensen et Meckling, 1976]. À titre d’exemple sans rentrer dans le jargon, une compagnie peut prendre des décisions qui vont modifier sa réalité financière. Il existe même un terme pour décrire une pratique frauduleuse ; l’Enronomics en référence au scandale de la compagnie Enron. L’objet d’étude est le mécanisme qui a poussé les comptables à adopter ces pratiques. Un autre exemple plus près de la réalité du Québec est associé aux décisions étatiques dans la répartition des budgets pour les divers secteurs. Il est impossible éthiquement de ne pas avoir un avis à titre de comptable sur la répartition des montants et les diverses actions que les utilisateurs en font. Dans certains secteurs, la théorie de Watts et Zimmerman suggère que des acteurs vont prendre des décisions à leurs avantages sans qu’elles soient frauduleuses. Le désir d’obtenir un boni, d’atteindre un objectif financier arbitraire ou de simplement de redistribuer des budgets discrétionnaires sont des exemples de motifs influençant leurs décisions.

Le comptable a un rôle social

Il y a bien sûr une éthique qui guide les décisions dans la profession. Cette éthique est surtout normative dans le cadre d’audit, donc elle ne peut pas s’inclure dans la théorie positive. Si vous avez bien suivi le raisonnement, tout ce qui est relié aux conséquences des actions externes à la compagnie n’est jamais mis en lumière. C’est le stéréotype du calculateur froid qui ne traite que des nombres, un ignoble concept qui déshumanise le travail. C’est dans cette perspective que l’absence de signe et de mythe naît.

À la lumière de ce constat, je vais écrire des articles sur divers auteurs ayant influencé la pensée et le travail de la comptabilité. Ils auront dans plusieurs cas une vision normative et technique du métier, l’aspect mathématique est un autre sujet d’étude assez fascinant, il n’en demeure pas moins important de refaire découvrir au grand public et à mes pairs des figures historiques à titre de modèle. En espérant que ces personnages seront source d’inspiration.